Montreuil - Makwacha, Makwacha - Montreuil. Va et vient entre les continents pour comprendre la façon dont font sens des fresques sur des murs, pour celles qui les peignent, et pour d'autres spectateurs, parfois radicalement lointains.

Comme repères et entrées dans cette recherche : mondialisation, technologies de l'information et expérience esthétique...




15 juil. 2013

Makwacha Part Three : "Mener" une enquête...



...
j'arrive et retrouve mes marques. Village / case / mamans M.et Nelly - on se connait un peu maintenant.

L'objectif de ce troisième séjour : prendre ce qui permettra de restituer le raisonnement de ma recherche, de faire partager mes impressions.
Assumer dorénavant la prise photographique. Pour le sonore, je le prends, point barre. Parfois au vu de tous, parfois discrètement.


L'emploi du temps

Le problème d'un objectif, c'est de croire que seul celui-ci importe et existe. Son intérêt, c'est de se rappeler qu'au départ on avait un cap...

Makwacha, 8h du matin
Préparatifs pour aller voir JP qui va peindre sa maison. Pour cela, il me faut : le pied de caméra, l'appareil photo, l'enregistreur, la crème solaire, la casquette, le crayon, le calepin. Des biscuits? J'ai faim... M. est un peu au ralenti ce matin... aïe, le thé - le makala, le petit brasero n'est pas encore lancé, ça prendra bien une heure pour le thé - ça tombera au beau milieu de la prise photographique. Bon, on verra plus tard, en attendant, à moi, il me faut du sucre pour réveiller un peu le cerveau. Non, pas les biscuits mais un jus et je le partage avec les enfants là-bas...brossage de dents devant les quelques personnes dehors qui sirotent le Lutuku. "How are you today? ...I say how are you today?" Roberts me regarde, l'oeil un peu vitreux, je le regarde "Fine, thanks and you?" Fernande arrive  "Mua ghibukeni / Ya Moi né / Mua bukaghani - vite, vite se rappeler - "buino", il manque un bout de la formule mais l'essentiel est là, "buino", bien, je vais bien!

8h20: Fernande repart, elle va, paraît-il chez Maman Prosperine chercher des pigments. Son passage matinal vise peut-être à me faire savoir qu'elle va peindre. Et que je pourrais éventuellement la filmer, elle. Aïe, j'aurais beaucoup aimé varier un peu les plaisirs et suivre son processus à elle - sa maison a la même orientation que JP, néanmoins problème de la cuisine qui cache le champ devant la maison - d'ailleurs, va-t-elle- peindre devant ou derrière et va t-elle vraiment peindre aujourd'hui? Non, Manon, plus prudent de rester auprès de JP, tu connais la maison, il t'attend, sera déçu si tu ne viens pas et blessé de te voir lui préférer Fernande...ok, sorry Fernande, une fois de plus je me vois contrainte de "suivre" quelqu'un d'autre.

8h30: j'arrive devant chez JP, tout le monde est debout se réchauffant au soleil. "Bonjour Mademoiselle Ménon, il fait froid aujourd'hui n'est-ce pas? Alors si vous le voulez bien, je vais rester un peu à me réchauffer comme ça et après j'irai vite vite prendre de beaux pigments et alors nous pourrons commencer." Mince, j'ai oublié la montre- ou sinon je prends le portable, d'autant plus que normalement Isaac Sumba Maly me contacte aujourd'hui… «  Ah, vous allez chercher d'autres pigments Jean-Pierre ? Oui, chez Maman Prosperine car celle-ci était à Likasi et sur la route elle a vu une carrière et elle s'est arrêtée pour prendre de la terre avec une très belle couleur blanche, vraiment très spéciale. Jean-Pierre, je viendrais bien avec vous voir les pigments, je peux vous accompagner? Oui, mais il nous faut faire vite car si j'ai bonne mémoire c'est aujourd'hui que vous voulez partir...? Oui, en fin d'après-midi Jean-Pierre. Je vais prendre quelque chose, j'arrive."  

8h45: retraversée de la route, je pousse le panneau de bois, écarte le drap : "Hodi" "Karibu", je passe le seuil...Diable du thé, du sucre me ferait du bien. prendre le portable - aïe plus beaucoup de batterie, est-ce que je sors le petit panneau solaire? mmmh, plus de place dans les poches, plus de place dans la sacoche. Tant pis pour le portable, je prends la montre, ah et le gel anti-bactérien.
"M. je repars voir Jean-Pierre...Mémo, tu vas prendre le thé? Si c'est possible M., si c'est trop embêtant ce n'est pas grave, tant pis pour le thé. Nan, ce n'est pas embêtant, on va préparer pour toi, tu vas prendre le thé. Sinon qu'est-ce que tu vas manger, il ne faut pas qu'on dise que M. ne s'occupe pas bien de Memo. Memo tu es l'enfant que j'ai mis au monde.(...)"

9h : retour chez JP, qui a disparu. "Jean-Pierre anawenda wapi?"... mmh, chez maman Prospérine, dans cette direction approximative. Est-ce que je connais chez maman Prosperine? je ne crois pas, c'est pas grave, je me retrouverai bien. J'agite la main et dis à "Dame Chouchou", qui ne parle pas du tout français "Je vais trouver Jean Pierre chez Maman Prosperine, à toute à l'heure."
La Muzungu s'engage sur le sentier, les enfants de loin s'écrient "Muzungu ça va? Comment tu t'appelles?" Parfois ils arrivent en courant pour me serrer la main. Ah, une case où il y a de l'animation, oui, je reconnais la chemise de Jean-Pierre, c'est ici. Beaucoup de cris, on pousse quelqu'un hors de la case. Je ne comprends pas bien. En fait, une famille et une "pièce rapportée" (ou "valeur ajoutée" selon un autre point de vue) se disputent et s'incriminent réciproquement, jusqu'à ce que la belle-fille/belle-sœur s'en aille à grands cris. "Est-ce que chez vous aussi les membres d'une même famille se déchirent comme cela à propos d'histoires de rien du tout?" Je rigole. "Oui, oui, on se dispute aussi beaucoup en France, même au sein d'une même famille." Maman Prosperine sort les pigments, papa Jean-Pierre commente, j'hésite, demande à prendre des photos, je sors l'appareil, on veut que je prenne en photo, j'explique que non, juste les pigments, j'essaye d'écarter discrètement les enfants du champ, ça ne marche pas, JP les chasse avec vigueur et simplicité. Je prends les clichés, observe la terre, on repart, JP a pris un peu des différentes terres, on repart vers chez lui.

9h30 : JP se met à broyer les pigments, j'installe le pied, on me propose une chaise, je signifie que je préfère être libre de mes mouvements, donc debout. c'est parti je filme. argh, la SD, la SD est presque pleine, bien sûr, la blague du débutant. ok, je poursuis, dès que j'ai assez d'images des pigments je retraverse la route en direction de chez M. prendre la SD. JP donne des indications, commente, qui a rapporté tel pigment, comment il pense l’utiliser. On vient assister à la scène (peinture de JP + prise photo/film de Manon), avec une petite bouteille de Lutuku. Dame Chouchou prépare à manger pour les enfants.

9h40 : je pars chercher l'autre carte SD chez M. assise devant sa case avec maman Nelly, vaisselle quotidienne. Je dis "coucou, je passe juste chercher quelque chose et je repars chez Jean-Pierre", elles me regardent entrer, je fouille dans le sac, je réfléchis à comment organiser les cartes SD, photos/films, etc., besoin de sucre toujours, pas encore pris le jus, je grignote deux biscuits en vitesse, en dépose trois sur la petite table. "M., j'ai laissé quelques biscuits si tu veux sur la table, pour toi et les enfants". "Tu ne vas pas prendre le thé ? "- j'ai vu la casserole sur le makala et pressens une eau frémissante- "si, si, je finis quelque chose chez Jean-Pierre et je reviens". M. et maman Nelly me regardent partir.

9h55: changement de carte SD, changement d'installation, ça y'est, JP attaque le dessin avec un bout de charbon, il entame le crépi, une cigarette au bec parce que "ça demande beaucoup d'effort". Il peint des hommes en train de jouer du tambour et des femmes en train de danser « pour représenter leur culture », je reconnais un style aperçu plusieurs fois auparavant sur les images. Des gens passent, s'arrêtent, observent, commentent, tapent la causette, d'autant plus qu'il y a le petit groupe de lutukois qui met un peu l'ambiance. 

10h05: Maman Saoûle qui me tire pour que j'aille prendre en photo sa maison. D'humeur assez souple aujourd'hui je laisse faire, m'aperçois qu'en effet elle a fait des fresques elle-même et qu'elles sont plutôt pas mal. Je reviens, le groupe s'est encore élargi, je sors la petite brique de jus, enfin du sucre sur mes papilles, donne la fin aux enfants, JP a fini de dessiner, il va attaquer la coloration avec un pinceau à brosse.  Mince, ça y'est le soleil apparaît en contre-jour; rapprocher la prise de vue, carrément sous l'auvent, ok, fin du cadrage homogène, place à l’improvisation...qu’est-ce que je fais, je mets l’appareil sur le pied ou bien… ? c’est long, faut visser sur la plaque qui ne tient pas, je risque de rater le moment où il met les premiers coups de pinceaux, je tente sans le pied, c’est parti…

10h20 : Je m'ennuie. JP en brossant le mur avec ses couleurs – ocre, orange, rose pétant - ressasse des propos qu'il m'a déjà dit sur les artistes de Makwacha et les nombreux touristes. mmh, je reste sceptique sur la pertinence de ma prise photo. Qu'est-ce qu'on va voir dessus? Dépit et doute. Je décide d'aller voir où en est le thé... 

10h30: fantastique, il est prêt. Je bois et mange en vitesse, goûtant la tranquille solitude du thé, petit rituel cher à M. – vision : son invitée, paisiblement assise auprès de la petite table, qu’elle-même recouvre à cette occasion d’une nappe, sur laquelle maman Nelly dispose et remplit le bol puis l’assiette contenant les deux petits pains... 
Tchaï ô combien compliqué dans l’organisation matinale. De l'autre côté de la route est en train de se dérouler l'opréation de peinture. La luminosité a complètement changé…sic… c’est pas grave, no problemo, hakuna matata…

Jusqu’à la fin de la journée, persévérer dans sa tâche demande un subtil équilibre : accepter la surprise – untel qui veut cela, les aléas de la vie en brousse (le soleil, les insectes, la poussière, l’absence de courant, l’efficacité du makala…), les impératifs domestiques (quand bien même tu es là pour enregistrer « la femme qui fait le kushiripa », son bébé pleure à l’intérieur, si elle-même le prend ça va prendre des lustres car elle a les mains pleines d’argile, qu’il n’y a pas d’eau courante, etc. toi, qui ne fait rien de bien occupant – regarder dans ton appareil - tu peux garder l’enfant, non ?!) et ruser avec la torpeur communicative…jusqu’à l’extinction de la lampe de poche vers 23h –ouf, souffler…



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