La case où j'habite avec M., ma logeuse, tout à droite |
Premier séjour : 8 jours sur place. Démarrage sur les chapeaux de roues, ambiance malaria nocturne sous lampe blafarde et vapeurs d'alcool sous le soleil.
Makwacha, petit village... de route?
A Lubumbashi, lorsque l'on va dans la
campagne environnante, autre part que dans des villes, on dit qu'on
va "en brousse". Makwacha, ce n'est pas vraiment la
brousse, parce que Makwacha, c'est la route. A Makwacha, on va
parfois voir les villages "en brousse". Mais Makwacha,
c'est la route : asphalte grise, bande qui fait paysage, Lubumbashi
d'un côté, Kasumbalesa (et au-delà la Zambie) de l'autre. Et des grappes de villages qui perlent
tout du long de cette route.
Tout arrive par la route - les
visiteurs (qui viennent visiter parents et proches), les commerçants
qui viennent depuis Lumata ou Lubumbashi vendre et/ou acheter
(vendeur de poisson circulant le long de la route à vélo depuis
Lubumbashi avec son Tomson congelé en train de décongeler, petit
camion croulant sous le charbon de braises que les villageois
envoient aux marchés en ville), les "hérauts"
(secrétaires et chefs de village, porteurs de missives, etc.) et
enfin la distraction (regarder le flux incessant - environ 200
véhicules en une heure-, apprécier, commenter et entourer les
transiteurs en panne, l'élément étranger étant porteur de
nouveautés).
Au creux de la nuit, la route se tait.
Au petit matin, elle se réveille et le flux grandit, grandit, les
trucks passent et repassent, les voitures filent, les petits camions croulent, les vélos galèrent, les hommes agitent leur main
(signifiant leur recherche de transport ou saluant le petit camion
croûlant qui claxonne). Le soir tombe tôt, les phares aveuglent,
les uns et les autres, regagnant foyer ou cahute amie, se rangent sur
le côté au passage des trucks. Invisibles habitants.
Lutuku contre Kushiripa
Sur les maisons, vieux crépi d'argile
rouge, grise ou blanche. Parfois, de vieilles traces de peinture -
celles de l'an passé. Cette année, ils n'ont pas encore eu le
temps.
Je suis accueillie / j'habite chez une
des tenancières du village. Elle fait le lutuku, elle seule au
village a la "cuisine" pour faire le lutuku : 2 fûts, un
dans lequel on fait bouillir la bouillie de maïs, l'autre qui sert
de condensateur (celui-ci est traversé par les deux tubes par
lesquels s'échappent les vapeurs d'alcool du premier fût). A
l'autre extrémité de ces deux tubes un chiffon qui pend dans de vieux jerricanes de lubrifiant.
a-a-a-a, les jours de Lutuku, ça
fait beaucoup de fatigue, a-a-a-a, les jours de Lutuku, il y a
beaucoup de gens qui dérangent, hein Memo
Dévaste de l'alcool qui gagne au fil
de la journée. Tôt le matin: Dada? dada?
Ils viennent, elles viennent chercher
le lutuku. Jeux de passe-passe et négociations, va-et-vient de
bouteilles (mystère de leur apparition soudaine), des mains qui se
touchent, des billets promptement glissés.
Pas le temps de faire le kushiripa,
pas le temps encore de faire le
mélange d'argile et de recouvrir / réparer le mur, encore moins le
temps de faire les dessins. Ma présence pourtant presse un peu les
choses et pour preuve de bonne volonté, ma logeuse lance l'opération
kushiripa. Elle fait venir l'argile rouge, mêle les différents
terres, ajoute celles-ci dans le sceau d'eau, plonge la main et la
tourne, la tourne, elle malaxe la matière, agite la boue, écrase
les granules... Des femmes arrivent, joyeuses, joueuses, ivres, ma
présence et mes quelques phrases lamba les enchantent. Une petite
débonnaire s'empare des sceaux, y plonge les mains et jette sur la
paroi un peu du liquide. C'est parti, elle lance, étale, recouvre,
elle lance, étale, recouvre, projette quelques gouttes d'eaux,
uniformise, ré-étale. Et de temps à autres, gloussante, sirote le
lutuku que lui donne, en contrepartie, ma logeuse.
La campagne de
sensibilisation
Il
m'aura fallu partir au fin fond de la brousse pour prendre du
protocole la pleine mesure et en apprécier l'importance sociale.
Tournées de village. Jean-Pierre, le chef de localité, regroupant
les six communes environnant Makwacha, me fait déambuler entre les
cases de Makwacha, me présente et précise que je suis là pour le
kushiripa, que je
repars bientôt. Au fil des jours, il m'emmène à Kifukula, puis en
tournée en brousse voir différents villages / regroupements de cases.
Il "sensibilise" les gens, il dit que c'est important de
faire des campagnes de sensibilisation pour que les gens n'oublient
pas leur culture. Il m'invite à prendre des photos, fait parfois remarquer aux villageois que je ne veux pas prendre de photos car leurs cases ne sont pas belles, qu'elles n'ont pas le kushiripa.
Et elle, Madame Ménon, vous
ne la prenez pas en photo?
Jean-Pierre,
chef de localité, fait la tournée des villages, annonce la venue du
grand chef Kaponda en septembre (chaque notable des villages devra lui apporter une poule et x sac de maïs) et montre la Muzungu qui
travaille sur le kushiripa
/ est une touriste (l'explication de ma présence varie, se module
au fil de nos échanges) et orchestre la prise photo. Je bous,
fulmine, admire, le reprend, refuse de prendre les clichés.
Jean-Pierre,
c'est cruel ce que vous leur dites pour la photo, ne leur dites pas
ça
Non madame Ménon, ce n'est pas cruel mais ça les
encouragent à peindre, parce que, vous savez, les gens ont beaucoup
à faire et ils délaissent alors un peu leur culture et ça, oui,
c'est regrettable.
Jean-Pierre me fait
asseoir à l'ombre, fait appeler les notables des villages - la
plupart ne sont pas là, appelés pour un deuil ou partis vendre les
produits au marché de Lubumbashi - s'ensuivent alors les formules de
présentation et surtout la surprise fascinée. Une muzungu ici?!
elle mange le bukari?
Surprise venant
rompre le quotidien, amusement des villageois/Lushois visités un
beau jour par une blanche dans la brousse (beaucoup d'entre eux
vivent/ont vécus à Lubumbashi et font en fait des saisons, partent
aux champs lors des récoltes), blanche vêtue d'une bien drôle de
manière, s'embarassant la tête à porter un tee-shirt en paravent
et baragouinant ses quelques formules lamba. On observe, on chuchote : je fais rire. On guette l'appareil photo. Je me
prête au jeu. Jean-Pierre est le chef de localité. Nous nous
accompagnons, lui fort de ses responsabilités, moi arborant ma
blancheur rougissante.
Mswana, village de brousse, déserté par la plupart des hommes, partis aux funérailles d'un ancien habitant. Drapeaux du Congo et du Katanga flottant au vent... (2h de marche environ depuis la route) |
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