Montreuil - Makwacha, Makwacha - Montreuil. Va et vient entre les continents pour comprendre la façon dont font sens des fresques sur des murs, pour celles qui les peignent, et pour d'autres spectateurs, parfois radicalement lointains.

Comme repères et entrées dans cette recherche : mondialisation, technologies de l'information et expérience esthétique...




24 juin 2013

Makwacha Part One : Où sont les fresques ?

La case où j'habite avec M., ma logeuse, tout à droite

Premier séjour : 8 jours sur place. Démarrage sur les chapeaux de roues, ambiance malaria nocturne sous lampe blafarde et vapeurs d'alcool sous le soleil. 



Makwacha, petit village... de route?

A Lubumbashi, lorsque l'on va dans la campagne environnante, autre part que dans des villes, on dit qu'on va "en brousse". Makwacha, ce n'est pas vraiment la brousse, parce que Makwacha, c'est la route. A Makwacha, on va parfois voir les villages "en brousse". Mais Makwacha, c'est la route : asphalte grise, bande qui fait paysage, Lubumbashi d'un côté, Kasumbalesa (et au-delà la Zambie) de l'autre. Et des grappes de villages qui perlent tout du long de cette route.

Tout arrive par la route - les visiteurs (qui viennent visiter parents et proches), les commerçants qui viennent depuis Lumata ou Lubumbashi vendre et/ou acheter (vendeur de poisson circulant le long de la route à vélo depuis Lubumbashi avec son Tomson congelé en train de décongeler, petit camion croulant sous le charbon de braises que les villageois envoient aux marchés en ville), les "hérauts" (secrétaires et chefs de village, porteurs de missives, etc.) et enfin la distraction (regarder le flux incessant - environ 200 véhicules en une heure-, apprécier, commenter et entourer les transiteurs en panne, l'élément étranger étant porteur de nouveautés).

Au creux de la nuit, la route se tait. Au petit matin, elle se réveille et le flux grandit, grandit, les trucks passent et repassent, les voitures filent, les petits camions croulent, les vélos galèrent, les hommes agitent leur main (signifiant leur recherche de transport ou saluant le petit camion croûlant qui claxonne). Le soir tombe tôt, les phares aveuglent, les uns et les autres, regagnant foyer ou cahute amie, se rangent sur le côté au passage des trucks. Invisibles habitants.  


Lutuku contre Kushiripa

Sur les maisons, vieux crépi d'argile rouge, grise ou blanche. Parfois, de vieilles traces de peinture - celles de l'an passé. Cette année, ils n'ont pas encore eu le temps.
Je suis accueillie / j'habite chez une des tenancières du village. Elle fait le lutuku, elle seule au village a la "cuisine" pour faire le lutuku : 2 fûts, un dans lequel on fait bouillir la bouillie de maïs, l'autre qui sert de condensateur (celui-ci est traversé par les deux tubes par lesquels s'échappent les vapeurs d'alcool du premier fût). A l'autre extrémité de ces deux tubes un chiffon qui pend dans de vieux jerricanes de lubrifiant.
a-a-a-a, les jours de Lutuku, ça fait beaucoup de fatigue, a-a-a-a, les jours de Lutuku, il y a beaucoup de gens qui dérangent, hein Memo
Dévaste de l'alcool qui gagne au fil de la journée. Tôt le matin: Dada? dada?
Ils viennent, elles viennent chercher le lutuku. Jeux de passe-passe et négociations, va-et-vient de bouteilles (mystère de leur apparition soudaine), des mains qui se touchent, des billets promptement glissés.
Pas le temps de faire le kushiripa, pas le temps encore de faire le mélange d'argile et de recouvrir / réparer le mur, encore moins le temps de faire les dessins. Ma présence pourtant presse un peu les choses et pour preuve de bonne volonté, ma logeuse lance l'opération kushiripa. Elle fait venir l'argile rouge, mêle les différents terres, ajoute celles-ci dans le sceau d'eau, plonge la main et la tourne, la tourne, elle malaxe la matière, agite la boue, écrase les granules... Des femmes arrivent, joyeuses, joueuses, ivres, ma présence et mes quelques phrases lamba les enchantent. Une petite débonnaire s'empare des sceaux, y plonge les mains et jette sur la paroi un peu du liquide. C'est parti, elle lance, étale, recouvre, elle lance, étale, recouvre, projette quelques gouttes d'eaux, uniformise, ré-étale. Et de temps à autres, gloussante, sirote le lutuku que lui donne, en contrepartie, ma logeuse.


La campagne de sensibilisation

Il m'aura fallu partir au fin fond de la brousse pour prendre du protocole la pleine mesure et en apprécier l'importance sociale. Tournées de village. Jean-Pierre, le chef de localité, regroupant les six communes environnant Makwacha, me fait déambuler entre les cases de Makwacha, me présente et précise que je suis là pour le kushiripa, que je repars bientôt. Au fil des jours, il m'emmène à Kifukula, puis en tournée en brousse voir différents villages / regroupements de cases. Il "sensibilise" les gens, il dit que c'est important de faire des campagnes de sensibilisation pour que les gens n'oublient pas leur culture. Il m'invite à prendre des photos, fait parfois remarquer aux villageois que je ne veux pas prendre de photos car leurs cases ne sont pas belles, qu'elles n'ont pas le kushiripa.
Et elle, Madame Ménon, vous ne la prenez pas en photo?
Jean-Pierre, chef de localité, fait la tournée des villages, annonce la venue du grand chef Kaponda en septembre (chaque notable des villages devra lui apporter une poule et x sac de maïs) et montre la Muzungu qui travaille sur le kushiripa / est une touriste (l'explication de ma présence varie, se module au fil de nos échanges) et orchestre la prise photo. Je bous, fulmine, admire, le reprend, refuse de prendre les clichés.
Jean-Pierre, c'est cruel ce que vous leur dites pour la photo, ne leur dites pas ça
Non madame Ménon, ce n'est pas cruel mais ça les encouragent à peindre, parce que, vous savez, les gens ont beaucoup à faire et ils délaissent alors un peu leur culture et ça, oui, c'est regrettable.
Jean-Pierre me fait asseoir à l'ombre, fait appeler les notables des villages - la plupart ne sont pas là, appelés pour un deuil ou partis vendre les produits au marché de Lubumbashi - s'ensuivent alors les formules de présentation et surtout la surprise fascinée. Une muzungu ici?! elle mange le bukari?
Surprise venant rompre le quotidien, amusement des villageois/Lushois visités un beau jour par une blanche dans la brousse (beaucoup d'entre eux vivent/ont vécus à Lubumbashi et font en fait des saisons, partent aux champs lors des récoltes), blanche vêtue d'une bien drôle de manière, s'embarassant la tête à porter un tee-shirt en paravent et baragouinant ses quelques formules lamba. On observe, on chuchote : je fais rire. On guette l'appareil photo. Je me prête au jeu. Jean-Pierre est le chef de localité. Nous nous accompagnons, lui fort de ses responsabilités, moi arborant ma blancheur rougissante.  


Mswana, village de brousse, déserté par la plupart des hommes, partis aux funérailles d'un ancien habitant.
Drapeaux du Congo et du Katanga flottant au vent...
(2h de marche environ depuis la route)

















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